Alors que la végétalisation des repas est au cœur des réflexions de la restauration scolaire, l’éducation au goût n’est pas moins importante dans la pédagogie de l’enfant. Le sujet était l’un des sujets de réflexion et d’échanges lors du Forum Agores le 29 mai dernier.
Par Noémie Giraud
C’est lors du 38e Forum Agores qui se tenait à Fontenay-sous-Bois en mai dernier (voir p.22), que la question de l’éducation au goût fut au centre des échanges de l’atelier débat dédié à cette thématique : « Éducation au goût et éveil au maraîchage pédagogique ». Conscients qu’un syndrome du manque de nature se fait de plus en plus ressentir dans notre société et surtout chez la population la plus jeune, des collectivités ont décidé d’agir et de remettre la nature au cœur des préoccupations. Que ce soit grâce à des projets éducatifs, des sorties scolaires ou même par des ateliers, ils ont souhaité donner aux enfants la possibilité de renouer le contact avec ce qu’ils mangent et ce qui les entoure. « La nature est nécessaire au bien-être. Des études menées en Amérique du Nord ont même démontré qu’y avoir accès, comme l’éducation et l’alimentation, réduisait les épidémies de stress, d’anxiété ou l’obésité », a commenté en préambule Marie-Noëlle Haye, vice-présidente et co-présidente du GT Nutrition du CNRC.
École du goût et potager
La ville de Colomiers (Haute-Garonne), candidate 2023 des Victoires des cantines rebelles, l’a bien compris et s’est engagée à faire de l’éducation au goût au sein de ses établissements, notamment grâce à l’École du goût. « Nous sommes une école de ville connectée à la nature, mais aussi à la cuisine. Ici, les enseignants peuvent s’inscrire gratuitement à l’École du goût. Chaque classe inscrite bénéficie ainsi d’une séance d’éducation à l’alimentation une fois par mois, et ce toute l’année », a expliqué Audrey Nabonne, du pôle alimentation et hygiène des locaux et responsable de service réception, actions

éducatives et École du goût. Chaque session de ce projet se clôture par des modes « Top Chef » dans lesquels chaque classe est accompagnée d’un chef restaurateur de la ville.
Des restaurants éphémères sont même proposés, dans lesquels les enfants vont cuisiner de l’entrée au dessert pour une autre classe et la servir. « Nous faisons aussi du maraîchage dans le cadre de notre projet “De la graine à l’assiette”, et avons fait appel à 3 maraîchers pour cultiver 8 hectares. Une partie de la production devant servir à la restauration collective. » En outre, les enfants du centre de loisirs bénéficient d’un potager de 450 m², leur permettant de voir pousser légumes et aromates. Pour faire profiter les écoliers de la ville de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) de la même chance et parvenir à leur montrer que dans leurs assiettes les produits viennent bien des champs, Fabienne Lelu, adjointe au maire de la ville, souhaitait qu’ils puissent visiter des fermes pour comprendre comment sont produits les fruits et légumes qu’ils dégustent. C’est donc au sein du village potager d’Hélène Falise près de Nemours (Seine-et-Marne) que cette expérience a pu se faire au cours de l’année scolaire 2023-2024.
Mettre les mains dans la terre
Cet éco-lieu de 15 hectares met l’accent sur le maraîchage bio et l’agroécologie afin de préserver au mieux les sols. « La pédagogie nous tient vraiment à cœur aussi et c’est pourquoi nous accueillons du public pour leur partager nos pratiques agricoles et montrer, notamment aux enfants, comment poussent les “vrais” légumes », a tenu à souligner Hélène Falise. À chaque visite, ils peuvent déguster des légumes crus, découvrir les aromates dans les champs et les goûter, mais aussi rencontrer toutes sortes d’insectes en se confrontant à la nature. « Et puis évidemment, ils mettent la main dans la terre !

Ils plantent, récoltent, désherbent, etc., comme l’a fait la classe de Benoît Vauchelle. » Après avoir visité plusieurs fois la cuisine centrale La Fontenaysienne avec différents niveaux, il n’a pas hésité à parler à ses élèves de cette proposition de projet avec la circonscription de l’éducation nationale de la ville. « Je ne vois pas vraiment comment ils mangent à l’heure du midi, mais en voyant passer les goûters, il m’arrive de voir des choses aberrantes. C’est pourquoi j’ai trouvé ce projet autour de l’éducation alimentaire très intéressante et j’ai emmené mes élèves de CM1 en novembre au village potager. C’était un vrai voyage en terre inconnue pour eux », a-t-il plaisanté.
Après la découverte de l’exploitation et la dégustation d’un repas aux produits de la ferme, ils ont pu planter des semis de coriandre, basilic ou encore d’épinards. « Ils étaient très heureux et n’ont pas arrêté de la semaine de me demander quand nous pourrions y retourner. Cela a été possible en mars et ils ont pu voir l’évolution de la nature. Ils ont également découvert les semis qui avaient poussé et nous sommes rentrés avec des légumes que nous avons cuisinés le lendemain avec le personnel de restauration. » Un souvenir impérissable dans la tête de ces écoliers et qui a permis de « dédiaboliser » les légumes.
Des produits locaux
pour les tout-petits
À Villejuif (Val-de-Marne), cette reconnexion à la nature et à l’alimentation s’est ajoutée au projet centré sur le droit aux vacances. « Il s’agit d’un projet de ferme communale gérée en régie agricole pour le droit aux vacances. Nous avons découvert la ferme des Frémy en décembre 2022 qui possède un terrain de 12 hectares, dont 2 sont cultivés en bio. Nous l’avons acquise en octobre 2023. La production de cette ferme est ainsi destinée, entre autres, aux 6 crèches de la ville, soit

pour 230 tout-petits », a détaillé Cindy Delvoy, directrice de projet transition écologique.
Les autres destinations de cette production sont les paniers solidaires et les courts séjours à la ferme. Les surplus sont quant à eux distribués aux associations. Les premières livraisons ont pu avoir lieu le 7 novembre dernier. « Il a été très important pour nous de faire visiter la ferme aux cuisiniers des crèches pour qu’ils se rendent compte des contraintes et enjeux de tous. Nous les avons également aidés à faire évoluer leurs pratiques et nous avons retravaillé leurs menus pour qu’ils soient adaptés aux produits de la ferme. Nous avons l’objectif d’arriver d’ici la fin de l’année à 90 % de légumes issus de la ferme. » Des panneaux de sensibilisation sont aussi mis en crèches pour les parents et leur expliquer d’où viennent les produits utilisés dans les repas. En ce qui concerne le reste du projet, la ferme est vouée à être ouverte à tous les publics : enfants, familles, personnes retraitées… « Pour les enfants, nous envisageons de les faire venir du mardi soir au mercredi pour qu’ils puissent passer une journée entière sur l’exploitation. C’est un projet que nous souhaitons mettre en place dès la rentrée. »
Réduction du gaspillage
Un projet pédagogique lié à l’éveil au maraîchage, couplé à des ateliers d’éducation, permet de fédérer tous les services. Anne Didier-Petremant, administratrice de l’Association nationale pour l’éducation au goût (Aneg) et fondatrice de « De mon assiette à notre planète » (voir encadré) a même souligné plusieurs bénéfices. « Nous avons pu observer lors de différents ateliers une amélioration des goûters. Il y a également une réduction du gaspillage alimentaire. Au niveau du collège, nous avons pu voir une augmentation du taux de prise des entrées, car il y a moins d’appréhension », a-t-elle insisté. La participation permet également aux enfants de mieux goûter et d’élargir son répertoire alimentaire. Il est ainsi important de les ouvrir par tous les sens à la nature.
En chiffres
Colomiers, ce sont : 4 500 repas/jour pour les crèches, écoles, portage à domicile et Ehpad ; 50 % de produits sous sigles officiels de qualité, dont 25 % de produits bio ; le poulet, le veau, les produits de la pêche proviennent de moins de 100 km de la ville.
Fontenay-sous-Bois sert 4 700 repas/jour, dont 4 500 pour les scolaires ; 70 % des composantes sont bio, soit 52 % des achats.
Retrouver le plaisir de goûter
Anne Didier-Petremant admet qu’il existe un manque de nature évident et qu’il est important de restaurer l’expérience sensible pour y répondre. « Ce manque a des conséquences visibles au niveau de la restauration collective, notamment via le gaspillage alimentaire, la difficulté à goûter, et la méfiance à l’égard de certains aliments, etc. Et ça, l’éducation au goût et à l’alimentation éveille le consommateur en mobilisant l’expérience sensorielle », commente-t-elle, insistant sur le fait que l’éducation au goût et le maraîchage visent à re-naturer et re-terrestrer les hommes et, ici, les plus jeunes. Le fait d’aller au marché, rencontrer des producteurs et artisans, jardiner, cuisiner va emmener à renforcer le plaisir de manger. « Toutes les études montrent que lorsque l’on se fait plaisir, nous avons tendance à faire des choix alimentaires favorables à la santé. En faisant tout cela, on va également stimuler notre curiosité et notre envie de goûter. »
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